Roman | 2deSecondeSéquence 1

Oûguk | 2008

Oûguk, le petit coco vert est un récit autobiographique en français et en iaai de Taï Waheo, originaire d’Ouvéa.

Ce jour-là, alors que le bateau s’éloignait déjà à l’horizon, un petit bambin trottait devant son grand-père. Il était loin d’imaginer qu’il était en train de vivre une étape décisive de sa vie. La douce sensation de ce sable humide qu’il foulait de ses petits pieds était une distraction suffisante pour ne pas réaliser que le bateau en train de disparaître derrière les Pléiades et faisant voile vers Mëëk emportait pour longtemps son frère, sa petite sœur et ses parents. Lui, l’enfant sevré, avait été confié à ses grands parents. Il marchait, tombait, se relevait et retombait. Son grand-père l’aidait à faire ses premiers pas sur le sable. Le petit garçon se fatigua vite et, lorsque sa grand-mère le prit dans ses bras, il ne tarda pas à s’endormir.

A bord du trois-mâts qui voguait vers d’autres cieux, sa mère n’en finissait plus de sécher ses larmes. Elle était venue dans l’île avec son mari et ses quatre enfants, elle n’en repartait qu’avec l’aîné et la petite dernière. Elle avait du se résigner à se séparer de ses deux autres enfants, pourtant si jeunes encore. En effet, son mari était étudiant pasteur à Houaïlou. Il ne travaillait pas pour un salaire et n’aurait pas d’argent pour nourrir ses quatre enfants. Pour soulager matériellement les parents, leurs pères respectifs leur avaient demandé de leur laisser les deux petits garçons et de ne repartir qu’avec les deux autres. La maman, les yeux embués de larmes, s’était assise sur le pont du bateau avec la petite dernière sur ses genoux, perdue dans ses pensées. « Est-ce la bonne décision ? Que deviendront-ils ? Ne sont-ils pas trop jeunes ? Les grands-parents ne sont-ils pas trop vieux ?

Il faut cependant obéir à la coutume. Puis, après tout, les grands-parents ont réussi à élever neuf enfants, ils réussiront sans doute à élever mes deux enfants, leurs petits-enfants. Ils ont suffisamment d’amour et de tendresse. Et pour les maladies, il y a le dispensaire…

Son mari, assis un peu plus loin avec son aîné, était conscient de la grande douleur de sa femme. Il s’approcha d’elle et lui dit :

– Cesse de pleurer maintenant.

– Les enfants. Mes deux enfants…

Il ne lui répondit pas. Il s’assit à côté d’elle. Tandis que sa femme allaitait avec tendresse leur fille, il invita son fils aîné d’un geste de la main à venir les rejoindre. Le regard perdu sur cet immense océan, ils assistèrent à un spectaculaire coucher du soleil. La nappe aquatique dorée et chatoyante rayonnait d’un charme puissant. Pourtant leurs pensées étaient ailleurs. La maman demeura stoïque en apparence, mais son cœur était blessé. Elle allait tant de fois revivre dans son for intérieur ces moments si cruels. La nuit tomba bientôt, emportant avec elle les émotions de la journée.

Au petit matin, lorsqu’ils atteignirent le port de la capitale, ils furent très occupés à rassembler leurs bagages et à chercher un membre de la famille qui puisse les héberger jusqu’au lendemain, quand il leur faudrait continuer la route vers l’intérieur. Regagner Do Néva, le centre de formation pastorale. Mais la journée du lendemain fut si remplie, deux ou trois achats par-ci, une ou deux visites par-là, qu’ils durent passer une nuit supplémentaire en ville. A l’aube, un baby-car les emporta, encore à moitié endormis, vers la fin de leur voyage.

Une seconde séparation attendait les deux enfants restés sur l’île. lls avaient été finalement confiés à deux grands-mères paternelles qui habitaient deux tribus différentes. L’aînée des deux sœurs demeurait à Banoutr ou elle était mariée. La cadette était revenue vivre à Vëkatr, sa tribu d’origine, après le décès de son mari, originaire de Hwaadrila. Le plus grand des deux enfants fut confié à la cadette des grands-mères tandis que le plus petit, Oûguk, rejoignit l’aînée. Le temps était venu de se séparer. Néanmoins, afin d’atténuer la peine d’une nouvelle séparation, les sœurs s’étaient mises d’accord pour passer quelques jours de plus ensemble Les deux enfants pourraient ainsi partager jeux et disputes sous le regard attendri des mamies bienveillantes. Tard dans la nuit, alors que la lueur des tisons diminuait, l’aînée des grands-mères dit à sa cadette :

– C’était bien de ta part d’avoir pensé à revenir dans notre tribu, après la mort de ton mari. Ce qui me paraît encore plus beau, c’est de m’avoir demandé l’un de mes fils afin qu’il perpétue la lignée de notre clan.

– Oui, puisque nous n’avons plus de frère pour occuper nos terres. Notre clan n’a plus d’héritier… Je me suis mis dans l’idée de ne jamais laisser éteindre le nom coutumier que nous portons.

– Et alors ? Raconte-moi encore…

– J’ai d’abord pensé que mon mari allait me donner des garçons. Coutumièrement, l’un des garçons devait revenir à notre clan pour me remplacer. Nous avons eu bien des enfants, mais c’étaient des filles… Quelque temps après, mon mari est mort…

– C’est à ce moment que tu as pensé à moi. Comme je suis l’aînée, avec tous mes garçons, il était logique que l’un d’eux revienne à notre clan pour me remplacer.

-Oui… Je connaissais tout le respect de ton mari pour les choses de la coutume.

– C’est ainsi que notre clan peut survivre, dit en pleurant la grande sœur.

Elles s’endormirent les yeux encore pleins de larmes, tout comme Oûguk et son frère. La semaine passa bien vite. Les deux petits garçons eurent à peine le temps de profiter l’un de l’autre. L’heure de se séparer arriva. Pour le plus grand des enfants, c’était le départ vers la tribu de Vekatr. Le plus jeune, Oûguk, insouciant, resta auprès de buba hingat et de buba soohmwecaa.

Les petits pas hésitants de l’enfant sur le sable sont effacés depuis longtemps. Mais le sable humide et doux de l’île est encore là pour porter l’empreinte des pas d’enfants que d’autres parents laisseront pour aller travailler ailleurs. . .

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